Novembre/Décembre

Le 1er novembre 1996.
Ma douce, tendre... (et moelleuse...)
Revenu au château, le parc est recouvert d’une épaisse couche de feuilles. Les teintes t’enivreraient.
Ta lettre du 29/10 m’a touché. Ta capacité d’analyse est sans doute une garantie qu’un gâchis stupide n’aura pas lieu. Etre à la hauteur de tes rêves, voilà qui doit inspirer ton action et tes comportements. Je ne doute pas un instant de tes sentiments à mon égard... j’espère seulement que la forme de ton amour me donnera envie de me battre, de construire, et n’aura aucune influence néfaste sur mon caractère... Je souhaite bien évidemment la même chose pour toi.
Je tente, tant que je peux, de comprendre cette préférence que tu as à cacher tes larmes derrière une agressivité... Combien nos nuages passagers disparaîtraient plus vite si j’avais tes yeux à sécher plutôt qu’à réagir à ta froideur apparente.
Cette énergie destructrice risque d’enliser tes désirs fondamentaux. Je veux bien t’aider de tout mon cœur.
Je viens d’entendre ton message sombre... curieux. En arrivant, cinq messages de toi : les quatre premiers attentionnés, le dernier détaché et inquiet... Parce que je t’ai parlé dans un état de fatigue prononcé ?
Cette allusion à mon tél... est-ce vraiment sérieux, n’est-ce pas une pique blessante ? Tu ne vas pas me redire que notre attache dépend de questions financières... ce serait la plus terrible absurdité... Je n’aurais dû rien évoquer. Ça n’avait pour objet que d’essayer de réfréner mes ardeurs nocturnes. C’est tout.
Comprends que j’ai à me battre tous azimuts, que chacun à ses obligations, mais que cela ne doit pas entacher notre amour.
Je te serre ma Sandre.
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Le 6 novembre 1996.
Ma Sandre à croquer,
Minuit passé : alors que tu es blottie dans ton dodo, le sommeil probablement profond, je veille encore pour te témoigner mon attachement. Apportons-nous que du bien et de la sérénité de vie.
Ce soir, vu la fin de l’émission de Delarue consacrée à l’euthanasie. Exemple d’un couple magnifique qui met fin à ses jours avant que la déchéance de la vieillesse maladive ne l’atteigne. Que penses-tu de cela, comme médecin ?
Ta chatte chaude me manque ma Sandre, et ta bouche à mon gland gonflé m’enivrerait... Petite note du pornographe, hé hé...
Je t’enlace sans retenue...
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Le 10 novembre 1996.
Ma Sandre,
De retour du Croisic, après quelque six heures d’intense bonheur. Déjeuner au restaurant l’Océan avec Heïm et Vanessa... Un bar en croûte à faire saliver un mort, notamment. Découverte de quelques coins de la côte sauvage. Vu la grosse maison que Heïm souhaiterait acquérir... Combien il serait bon que par notre travail cela se concrétise.
Cette côte, avec ses rochers aux lignes tourmentées, les quelques mouettes ayant survécu au massacre pour cause de fientes trop nombreuses, ces multiples petits ports plus ou moins fréquentés, cette couleur transparente (malgré les nuages présents), cet air à l’iode enivrant (je patouille, je patouille...). Il faudrait que je te fasse découvrir cela.
Es-tu prête à me suivre dans mon désir profond de perpétuer l’œuvre de Heïm, de sauvegarder le château, d’intensifier les combats pour que toujours l’intérêt général (familial) prime sur les égoïsmes individuels ? Jusqu’où puis-je compter sur tes sentiments, quel est le degré de ton ralliement à moi ? De profondes interrogations qui dépassent de loin la simple angoisse d’une fragilité relationnelle.
Suite : le 12 nov.
Ce matin, par hasard, en discutant avec une jeune fille de mon séminaire de lettres, l’opportunité d’emménager rue Mouffetard (rue commerciale pavée très animée) dans deux petites pièces meublées (avec un grand lit) pour 850 F/mois, charges comprises. Pour ne pas mettre ma logeuse au pied du mur, je lui verserai fin décembre la moitié du loyer de janvier.
Avantages de ce ministudio : l’indépendance et le coût. Les inconvénients : au cinquième sans ascenseur, douche commune avec la voisine (sœur de la jeune fille) et toilette à la turque commune (mais possibilité d’installer dans un recoin de l’appart des toilettes chimiques...
Voilà une bonne nouvelle pour nos entrevues dans la capitale.
A très vite ma Sandre.
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Le 2 décembre 1996.
Ma Sandre,
Quel enchantement d’entendre ta voix pétillante, apaisée, aux accents régénérés. Cela m’a changé de ces derniers jours où l’accumulation de la tension nerveuse et de la fatigue physique et psychique donnait des envies de se foutre à l’eau.
Lutèce revêt peu à peu ses brillances de fêtes. Cadeau par Gilles, le mari de ma mère, d’un casque coton-tige d’une qualité exceptionnelle : circuit turbo V2 (presque de la formule 1), diaphragme en saphir, écouteurs ergonomiques, fiche stéréo plaquée or. La Rolls Royce des casques discrets. Une merveille à l’écoute...
J’aurais un service à te demander ma Sandre pour les mois qui viennent. Il faudrait que je consulte des thèses, en rapport avec le pamphlet, soutenues dans des universités de Lyon. Si je t’en fournis la liste, pourrais-tu me les réserver à la consultation pour un jour à déterminer, lorsque je serai présent ?
Dans cette attente, je t’envoie mes plus tendres baisers. A très vite.
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Le 6 décembre 1996.
Ma Sandre à embrasser,
Je vais donc répondre aux questions déchiffrées.
Dans ta carte de l’ange à l’arc point d’interrogation, mais beaucoup de touchantes résolutions.
[Je me sens encore entre deux eaux, te trouvant plus distant avec moi que je ne le voudrais. Ne peut-on s’aimer tout simplement ?]
Reste à savoir si l’amour est simple... et si la construction nécessaire à la pérennisation n’est pas plus mobilisatrice.
[J’ai pensé que voyager ensemble serait peut-être plus agréable que de rentrer seule de Nantes jusqu'à Lyon, non ?]
C’est en effet plus agréable de retourner ensemble vers la capitale. J’approuve sans réserve.
[Où allons-nous dormir en Bretagne ?]
Un gîte doit être réservé ou des chambres d’hôtel, je ne sais plus. Mais ne t’inquiète pas, nous ne resterons pas faire dodo sous les embruns de la côte sauvage.
[Si seulement nous pouvions nous voir tous les 15 jours. Est-ce vraiment utopique ?]
Ce serait évidemment formidable, mais je ne peux te promettre la régularité. Nous avons chacun nos impondérables. Point positif : je pourrai, à partir de janvier 97, te recevoir plus facilement.
[Pourrais-tu demander à Madeleine les photos de l’île de Ré ? Je n’ai presque pas de photos de toi et moi réunis. J’aimerais avoir une petite collection que je regarderais les soirs de solitude.]
Je lui demanderai les photos par courrier lorsque je lui enverrai Le Limousin qu’elle a préfacé.
[...]
[Dis-moi franchement, tu ne souhaites pas vraiment envisager une réunion ? Venir près de toi te semble trop envahissant ?]
Mais bien sûr que je veux une réunion, si tu viens à moi. Quand t’ai-je dit le contraire ? Il faudra bien tester nos sentiments à la quotidienneté d’une vie.
[La sauvage, sauvageonne que je suis n’est pas encore totalement apprivoisée.]
Et bien j’espère que tes sentiments n’en sont pas amoindris. [...]
[Ce serait bien d’avoir notre nid à nous. Une jolie demeure et non une case dans un bloc de béton.]
Je n’ai pas l’intention de vivre dans une case de béton, mais plutôt dans un château.
[Ne trouves-tu pas que ce format de papier ressemble à celui d’une ordonnance ?]
Je ne fréquente pas assez les médecins pour faire le rapprochement.
[Si tu as envie de quelque chose de particulier ce week-end, dis-le moi.]
Je n’ai besoin que de toi, et de quelque boustifaille.
Viens m’embrasser ma Sandre.
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Le 9 décembre 1996.
Ma Sandre,
Dans l’attente du thé au lait et du croissant chaud, je réalise avec un peu d’avance ton rêve : le tracé de quelques mots. Vais-je réunir suffisamment de ressort pour m’élancer vers la créativité épistolaire ? Je dois te l’avouer : je me sens plutôt lourd de la plume... l’effet sans doute de te laisser à regret dans le froid rejoindre les cacochymes égrotants du Mont doré.
Notre ultime réunion charnelle de ce matin fut particulièrement enivrante : galvanisés par l’étreinte matinale et pressés par le temps qui nous manquait. La bonne disposition des cœurs et des corps intensifia l’irrigation de notre imbrication libératrice.
Voilà ma Sandre, je vais rejoindre de plus sobres écritures.
A nos doux enlacements.
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Décembre 1996.
Sandre, ma courageuse,
Je ne sais quoi t’écrire après tout ce que tu m’as conté, si ce n’est l’intensité de mes pensées pour toi. Cette société de chiasse a une curieuse manière de récompenser ceux qui réussissent leurs études. De bien féroces pamphlets seraient à écrire contre cette merdeuse organisation médicale. Seul point positif : te donner le sens du combat et démultiplier tes connaissances pratiques.
Je sais que tu vas faire tout ton possible pour être libre le 24 décembre, mais sache que ce serait terrible pour moi si tu ne pouvais pas être là.
Espérons donc.
Et de très tendres choses ma Sandre.
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Vendredi 13 décembre 1996
Une résurrection ? Je ne sais. Ce mode d’écriture semble ne plus m’attirer, mais le temps s’écoule très vite et la correspondance que j’entretiens avec ma Sandre ne suffit pas à jalonner avec suffisamment de précision mon existence personnelle, estudiantine, professionnelle et les soubresauts de l’actualité.
Mardi de novembre, attentat des islamistes à la station Port-Royal du RER parisien. Grosse émotion. Les fêtes de fin d’année vont-elles être entachées de ces explosions à l’aveugle ? Le plan Vigipirate est immédiatement réactivé.
Parution de L’aristocratisme libertaire chez Léautaud et Heïm tiré de mon mémoire de lettres modernes. Premier volume de la collection Etudes universitaires de France, dix ans après la publication de mon recueil poétique. Angoissante perspective temporelle.
Argumentaires de présentation envoyés aux différentes relations tous azimuts, aux universités de France (iep et ufr de lettres), aux dirigeants de certains journaux non conformistes, etc.
J’espère que ce tiré-à-part de trois cent quarante exemplaires ne moisira pas dans des cartons. Edith Silve m’a promis la parution d’extraits dans plusieurs numéros des Cahiers Paul Léautaud. Le bulletin célinien devrait y faire allusion, tout comme L’homme nouveau de Renoulet. Marc Laudelout l’a demandé en service de presse pour sa chronique littéraire dans Polémique, une revue belge.
A l’heure actuelle, commande de l’ouvrage par : pater, mater, grand-mère, Gérard L., Guy O., Maguy V., J. Renoulet, Renata Lesnik (écrivain d’origine russe, amie), Sophie B. (amie, violoniste), Isabelle T. (une copine minitelliste), Kate. Ça fait pas bésief.
Lettre de Jacqueline Kelen (sans commande) qui se porte bien. Courrier de Christophe D., copain de collège dont je n’avais plus de nouvelles depuis dix ans (il est marié et professeur de lycée ou collège).
Exemplaire donné gracieusement aux destinataires de mon épître dédicatoire : Marc D. (pour son courage et sa bienveillance) que je vois mardi prochain, ma Sandre (pour son attentive tendresse) à qui je l’ai remis le week-end dernier, et à Jean R., mon vieux professeur de collège en retraite, s’il prend un peu de temps pour répondre à mon dernier et déjà ancien courrier. Voilà le bilan.
Ma Sandre vit très mal notre éloignement et les pressions de son internat. Le tableau qu’elle me brosse des relations professionnelles qu’elle a donne des envies de grands coups de pied dans cette infecte tanière (une clinique lyonnaise) : une chef de service peau de vache à qui il faudrait déféquer une grosse chiasse sur la gueule pour qu’elle cesse ses injustices, ses brimades, etc. ; des médecins se prenant pour le centre du monde... mon dieu ! s’ils avaient cons­cience...
Chirac s’est exprimé chez Big Média-TF1. Peu de luminosités entraînantes dans le discours.
Les socialos n’ont pas retenu la leçon de 1981, ou tout juste. La nouvelle promesse-paillettes : la création de 700 000 emplois de jeunes dans l’année de leur arrivée. Il est bien vite oublié le million de créations promis par Fanfan décomposé, et le fiasco qui a suivi.
On s’acharne à faire reluire les concepts fondateurs de notre régime, alors qu’il se lézarde de partout, et que plus aucune perspective ne motive. Une époque est achevée, mais ceux qui en profitent soufflent sur les braises déclinantes, pour faire croire.
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Le 13 décembre 1996.
Ma tendre Sandre,
Surtout ne flanche pas ma douce, nous trouverons une solution pour ne pas rester éloigné l’un de l’autre pendant encore deux ans.
Le temps m’est compté, tout comme le tiens, mais je tenais à t’inscrire cette chose et t’envoyer mes plus tendres pensées.
Comme un soutien. De gros bisous, et repose-toi.
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Le 15 décembre 1996.
Ma douce attentionnée,
Quel plaisir de t’entendre ce soir avec ta chantante voix complice. Que de préparatifs pour ton nid accueillant. Combien tu es adorable dans tes élans constructeurs.
Te sens-tu prêtes pour une vie quotidienne avec moi ?
[A quand nos fiançailles, un projet fou ?]
Hé hé, rien de fou, ce serait une suite logique... Je préférerais un lien puissant entre nous à tout autre symbole.
Eh bien il ne restait qu’une seule question, voilà transparence faite.
Lettre un peu courte, je tenterais plus développée la prochaine fois.
Beaucoup de courage à toi pour ta semaine. Tendrement.
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Le 16 décembre 1996.
Ma bien-aimée,
Me voilà de nouveau dans un de ces gros ter rouges destination Big Lutèce. A nous bientôt Le Croisic, la côte sauvage et, j’espère, de très doux moments à passer et d’excellentes choses à manger. Il faut que je pense à te lire la carte par tél. avant la fin de la semaine, car certains mets (les oursins, par exemple) doivent être commandés à l’avance.

Que t’évoque la perspective que nous soyons réunis, par exemple, pour la rentrée 97 ? Es-tu prête à m’accueillir ? Profiter l’un de l’autre au quotidien, et faire défi au temps. A moi de me battre pour poursuivre mes études, ma collaboration éditoriale et un travail d’appoint (aux droits d’auteur par exemple). Prendre et assumer sa vie en totale responsabilité, il est peut-être grand temps à vingt-sept balais.
Tendrement proche de toi.

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