Mars

Vendredi 8 mars
Essai de reprise de ce Journal délaissé depuis tant de temps. Les notes seront rapides, dégraissées de toutes fioritures inutiles. Une sorte de carnet de bord existentiel pour que des repères restent inscrits.
Au château, l’activité n’est pas brillante. Nous sommes une nouvelle fois au bord du gouffre. Notre manque d’ardeur, notre irresponsabilité, nos manque­ments risquent à nouveau de nous coûter très cher. Heïm, dé­sespéré par notre immaturité, ne va pas bien du tout. Un jour sur deux un repas-catharsis. A la fin mars, la sentence tombera.
Je sors d’une mononucléose infectieuse, ou maladie des étudiants, chopée je ne sais où, dans je ne sais quelle donzelle... Une semaine de combat organique et un épuisement sans pareil.
J’ai commencé la rédaction de mon mémoire.
Il me faudra être un peu plus attractif lors des prochaines notations.
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Paris, le 9 mars 1996
Sandre, douce amie,
Au sortir de notre conversation, une petite amertume de n'avoir pu être à tes côtés pour t'insuffler la douceur dont tu avais besoin.
Ta lettre virevolte dans tous les sens, avec pour moi quelques graphies incompréhensibles. Je suis privé de certaines subtilités, et certaines de tes questions (j'ai reconnu le signe interrogatif) me sont inaccessibles. Il faudrait presque que tu gardes des copies pour me faire la lecture... hé !
[Tu écris dans une boîte de nuit, ce n'est pas fait pour ça à l’origine, non ?]
L'objet de cette écriture dans les culs-de-basse-fosse à décibels était à l'origine la mise en perspective de ce monde nocturne de la décontraction superficielle avec certains événements graves de l'actualité.
Le fil de rasoir sur lequel tu te trimballes est posé à terre. Ta détresse profonde est touchante, mais je ne veux pas aller dans ton sens. Il me faut être un peu rude pour espérer t'apporter quelque aide. Hurler avec des loups affamés n’a jamais rempli leur estomac. Tu es une louve jouant de presque tout, mais fondamentalement désespérée.
Le désespoir constructeur, voilà ce que peut t'apporter la transcendance de la misère humaine.
Je tiens à ta renaissance. Ton ami attentif.
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Château d'Au., le 14 mars 1996
Sandre très chère (varions un peu !),
Sitôt le combiné raccroché, je me mets à la plume. Elle ne s'attardera pas pour cette fois, car la littérature que je t'ai imprimée ne peut pas attendre :
- Trois textes écrits en boîte,
- Deux chroniques télématiques sur la Guerre du Golfe.
Très touché par tes deux derniers courriers, beaucoup plus impliqués. Je ne manquerai pas d'approfondir mon sentiment par une prochaine lettre.
Mais là, atla, atla !
Avec toute mon affection.
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Train corail Laon-Paris, le 15 mars 1996
Amie Sandre,
Ton désir de venir à Paris avant l'été est une excellente idée. Pour le logement, je tente un contact. Me promener en ta compagnie dans les travées de la cathédralesque Notre-Dame ne peut que m'enchanter.
[Je vais aller voir L'Armée des 12 singes, je ne sais si je vais accrocher.]
Ce film est une belle réussite ! Un Bruce Willis à couper le souffle dans sa perfor­mance, un scénario bien agencé, même si la complexité entame parfois l'efficacité de l'action.
[Les « mollusques » sont des personnes avec lesquelles on ne peut pas tout aborder, ils sont frustrants. Si nous sommes face à face, j’aurais l’occasion de t’en dire davantage, à moins d’être totalement inhibée face à toi.]
Pourquoi, diable, cette crainte ? Je ne mange jamais les jolies jeunes filles (ou femmes) sauf pour leur donner du plaisir, hé ! Aucune raison de passer d'une décontraction épistolaire, d'un pétillement téléphonique à un coincement maladif... Je n'y crois pas. Notre complicité croît au fil des lettres.
[« I love Paris in the springtime... ». Elle chante vraiment bien.]
Tu aimes notre capitale... moi non plus comme le chanterait Gainsbourg. Certes Big Lutèce forme une concentration extraordinaire de l'univers humain, mais cette tendance à l'entassement excessif, signe de notre toujours persistante nature grégaire, ne favorise pas la qualité individuelle.
[La musique, c’est bien quelque chose qui m’apaise, comme l’océan.]
La musique constitue un art essentiel dans mon existence. Pas un jour de l'année où je n'écoute du tsoin tsoin en tous genres (funk, soul, new jack, jazz, blues, rock, reggae, rap, etc...). Je ne pratique aucun instrument, à mon grand regret, ayant été, petiot, dégoûté par un jobard de professeur dans son enseignement à la con du solfège. Depuis, hormis tapoter maladroitement les touches d'un piano, ou faire un peu de trompette buccale (une spécialité) je ne joue que de ma voix, avec une certaine jubilation.
[JP n’a pas ton esprit, il est moins vif, plus terrien...]
Merci pour le gentil compliment de ma vivacité et de mon aérienneté (oh l'affreux néologisme !). Je t'invite à danser le slow que tu veux quand tu veux ma douce ! On se place comme on peut, non ?
[Une nuit avec peu de rêve. Deux chambre d’hôtel : le 519 ; j’étais avec mad, et le 551 à côté (?) où il y avait Fab. Vue sur mer. Une piscine immense avec cinq personnes dans un coin, pourquoi cinq ? Un type tue deux filles sur une route de campagne. Ça ne tient pas debout... Je dois être torturée du bulbe !!!]
Ton rêve n'est pas si déjanté que cela. Un peu violent, mais ta nature reste imperturbable face à quelques corps écharpés, non ? A la fin de l’adolescence, un de mes songes a constitué la base d’écriture du plus long et du plus violent poème que j'avais dû t'envoyer, L’éon et sa lie pure. Là encore, même dans l'atroce, on se rejoint.
La constante tourmente de ton esprit rejoint une sensibilité exacerbée. Réserve ta richesse intérieure aux êtres qui valent. Tu as la capacité de jouer de ton apparence... c'est ta puissance.
[Je suis sur cette planète à cause d’un accident ou d’un incident de parcours...]
Chienne de naissance, rapports aux parents terribles, perdue entre une ombre de père et une impardonnable marâtre. Tu n'es pas gâtée. L'influence de ce sombre tableau sur ton rapport aux hommes, un premier amour raté, et peut-être même une défloration de cochon. L'avantage est d'avoir créé une méfiance salvatrice...
Laisser les noirceurs de la vie, les crasseux et les médiocres de tous poils, et rejaillir comme une Eve vénusienne... un bon programme pour toi, si l'Adam est à la hauteur.
[J’aurais bien aimé avoir un grand frère.]
Si je ne peux être ton galant, je serais honoré de m'incarner en grand frère pour toi, celui à qui tu demanderas d'être son premier témoin à ton mariage. Et là, au moins, frère et sœur ce sera pour la vie !
[J’ai souvent rêvé d’être avec un écrivain, tout sauf un médecin. (...) Mon chat dort sur ma robe, il ne se tracasse pas lui.]
Ton rapprochement du matou et de l'écrivain me suggère, évidemment, la figure de Léautaud sur qui je travaille pour mon mémoire. Il accueillit jusqu'à vingt chiens et trente chats en même temps...
Vivre avec un écrivain, un de tes désirs profonds ? Je ne relèverai pas... hé hé !
[Pourquoi cette peur du sang ?]
J'ai peut-être un peu trop joué le douillet mental avec toi : la vue du sang, des tripes et de la sanie ne me fait pas systématiquement défaillir, mais il est vrai que je ne pourrais pas vivre mes journées dans l'atmosphère hospitalière. [...]
[Ton père a fait beaucoup de dettes pour acheter cette grande demeure ?]
Le château a été acquis par le biais d'une sci dont je suis l'un des associés... ce n'est pas un achat en nom personnel. Une partie cash, et l'autre par le biais d'un prêt...
[Ne te sens-tu pas isolé ?]
Point de sentiment d'isolement dans cette seigneurie, car je reviens toutes les semaines à Paris. Cet équilibre entre la féodalité et mon petit pied-à-terre parisien me convient. 230 habitants à Au, un peu plus à Paris...
[Vous avez des domestiques comme tout châtelain qui se respecte ?]
Un jardinier-homme à tout faire, une femme d'entretien et deux ouvriers.
[Ton amie lyonnaise est de quel quartier ? Ça sera clean comme réception ?]
La future mariée réside Cours de la Liberté et je présume que la réception aura tout le charme nécessaire : ni trop guindé, ni trop débraillé.
[Tu sais comment tu vas être habillé, sans faire de l’ombre au marié ?]
Ma « vêture » pour le grand jour n'est pas encore tout à fait au point, mais mon penchant séducteur ne me fera pas manquer le coche. De là à détrôner le marié... hé !
Un mystère : pourquoi ton clip-clap ou clap-clip, selon le sens, ne peut nous accueillir tous les deux : exiguïté du matériel ou crainte de la demoiselle ?
[L’été, tu te partages entre Laon et Pézénas ?]
Cet été, rien n'est défini. Mes allers-retours se feront plutôt entre Paris et Au, avec un voyage dans le sud.
Je te joins, comme promis, l'introduction non achevée de mon mémoire. Je ne suis pas qu'un fanfaron de la plume.
A te lire, attentivement tiens.
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Lundi 18 mars
Minuit dépassé, dans quelques heures une nouvelle semaine pour se battre sur tous les fronts.
Reprise de contact, la semaine dernière, avec Madeleine Chapsal. Tout va bien. Je devrais participer au Salon du livre de Limoges fin avril. Peut-être y retrouverais-je Sandre R., délicieuse et pétillante jeune fille avec qui j’entretiens une correspondance fournie.


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Paris, le 24 mars 1996
Sandre la terrible,
« Mon petit Loïc » dis-tu ? J'adapte donc mon support à ta perception affective [choix de feuilles au format A5]. A nouveau la plume dressée pour répondre à 95 % de tes interrogations, soigneusement notées. Les 5 % restant se composent de l'illisible ou de « fausses » questions.
[Si je vois une bague mieux que celle de la place Vendôme, je te le dis, c’est promis. Un châtelain qui ne peut pas se permettre cette folie, c’est un avare ou un riche plein de dettes ?]
Le châtelain de Crauze n'a pas encore son aisance financière, je l'avoue volontiers. S'il le faut, j'irais casser de la caillasse pour te l'offrir cette bague. Voilà ce que déclarerait un chevalier courtois.
[Tu connais des étudiantes en médecine à Paris ?]
Non, je n’ai pas eu le temps de faire la sortie des facultés avec mon long imperméable. D'autre part, je suis un ignare dans le domaine médical. Que pourrait donc apporter un juriste lettré comme moi à une poétesse des intérieurs corporels ? Et moi alors, vas-tu me rétorquer avec l'à-propos que je te connais ? Une perle perdue dans cet univers barbare je crois.
[Quelle est ta définition du romantisme ?]
Le romantisme à la XIXe est soit une mièvrerie nian-nian pour puceau blême, soit une manière d'être pleine d'attentions, d'intentions séductrices et de charmes diffus. Tout dépend de la tendance négative ou positive qu'on met dans son analyse.
[Qu’as-tu comme voiture ?]
Encore une déception de plus pour toi Sandre l'accablée. Je n'ai ni permis ni, a fortiori, de teuf-teuf ou vroum-vroum, selon le modèle !
[As-tu une couleur préférée ?]
Cela dépend du support : rouge vif pour les eaux battantes du cœur, jaune éclatant pour l'astre brûlant, noire pour mes haillons.
[Dans quelle boîte as-tu écrit ?]
Comme précisé dans la chronique, la boîte des Putes à Trous et des Bites Molles est une des plus confortables de Lutèce : l'Aquarium. Une belle occasion d'aller barboter en rythme.
[As-tu déjà eu des demandes en mariage ?]
Une demande pour passer devant messieurs le Maire et Notre-Tout-Puissant ? Une seule fois, dans la perspective d'une vie avec Kate. Pour le reste, je n'ai pas fréquenté assez longtemps.
[Que penses-tu de mon papier à lettres ?]
Ton papier à scribouiller me convient parfaitement au toucher. Evite tout de même le bleu sur bleu...
[J’ai rêvé que tu vendais des bouteilles de champagne au noir, ça veut dire quelque chose, à part que je suis timbrée ?]
Je n'ai pas les qualités de notre feu tonton Freud pour en tirer quelques lumineuses interprétations. T'apparaîtrais-je comme un jeune aristocrate en déchéance, alcoolo et réduit aux escroqueries de seconde zone ? Hé hé, quel tableau !
[Ton papa ne pratique plus du tout la psychologie ?]
Plus de manière professionnelle depuis belle lurette. Mais si tu le souhaites, je peux exceptionnellement t'obtenir un rendez-vous.
[Pourquoi les artères divergent-elles partout dans l’organisme, exception faite du cerveau ? La main de Dieu ?]
C'est toi qui doit tout m'apprendre sur la divergence des conduits. Je ne pourrais moi t'écrire que des niaiseries comme présentement.
[Tu es en train de devenir mon confident, ça c’est ma vision des choses.]
Etre ton confident, chuchotements compris, m'est, je te le répète, très agréable. Vaste programme que de connaître toutes tes contrées psychologiques...
[Qu’aimes-tu bien manger ? Boire ?]
Je suis un gourmand. Hormis les coquillages et les concombres, j'aime à peu près tout. Pour la cuisine simple et rapide, je suis très viande crue, poisson cru et salade composée. Pour la boisson, sodas et eau si je suis tout seul ; vin rouge et Bison flûté (un tiers de vodka à l'herbe de bison, deux tiers de Coca-Cola et un max. de glaçons) en repas convivial.
[Pourquoi cette habitude de l’obscénité ? C’est ton rempart ?]
Ce n'est pas moi qui le suit, ce sont les gens et les situations que je décris. La crasse est le lot de notre civilisation : je ne vais pas la transcrire avec douceur et doigté.
En revanche, j'ai un amour des mots. Et comme dirait Heïm : « J’adore rouler mes contemporains dans le caca. Les mots orduriers ne me font pas peur, je nourris pour eux une passion stendhalienne. Il en est de bien gluants, de bien puants, de bien excrémentiels qui définissent excellemment le petit personnel que je brocarde. »
[Ecris-tu des lettres d’amour ?]
Peu à mon actif. Plutôt des poésies ou des textes en prose intégrés à un ensemble plus vaste.
[Ton affection pour les femmes semble bien relative ; sommes-nous si exécrables ?]
Je ne suis en aucun cas amer sur la femme en particulier, mais plutôt sur l'être en général. Une femme, au sens plein du mot, est pour moi un ravissement sans réserve. Mais combien de temps le sera-t-elle ? Le meilleur de chacun est souvent à durée très limitée.
[Ne pas se souvenir de ses rêves a-t-il un sens ?]
Cela me semble surtout un état psychologique satisfaisant. Pas de tourmente à avoir.
[Les filles de la nuit lisaient-elles tes textes ?]
Ecrire un texte en boîte suscite, en effet, la curiosité, notamment des belles jeunes filles. Il m'est parfois arrivé d'en lire des passages, prétendant que je rédigeais une thèse sur la décontraction humaine dans les milieux de la nuit. Le plus souvent, les donzelles me regardaient avec des yeux ronds...
[La loi du tout ou rien s’applique-t-elle à ta personne ?]
Le tout ou rien comme loi de rapport avec les gens est peut-être une conséquence de mon caractère passionné. En réalité, je suis beaucoup plus conciliant que tu ne le penses.
[A quoi peut bien ressembler ton modèle féminin ?]
Pas de modèle absolu, mais quelques qualités de base à réunir : féminité, beauté, intelligence, sensibilité, pétillement, curiosité et sensualité.
[Passes-tu beaucoup de temps dans ton château ?]
Les séminaires en maîtrise de lettres sont en effet peu nombreux. D'autant plus pour moi depuis un mois : sur trois séminaires, l'un s'est achevé à la fin du premier semestre, le deuxième est interrompu depuis décembre 95 pour cause d'accident cardiaque du professeur (rétablissement le 1er avril ! mais si !) et le troisième a lieu le mardi tous les quinze jours. Voilà mon programme. L'essentiel est dans le travail personnel.
[Karl a lui aussi des parents vivants et une adoption sentimentale ?]
Oui. Sa mère a été longtemps compagne et collaboratrice de Heïm. Son géniteur n'a plus de rapport, en fait n'en n'a jamais eu vraiment.
[Que penses-tu de l’IVG ?]
Progrès incontestable qui doit être utilisé avec discernement et un grand sens moral.
[L’écriture semble une véritable raison d’être chez toi. En vivre est-il ton but ?]
Vivre de mon écriture serait évidemment la plus merveilleuse des situations, mais je n'y crois guère : mon style et le contenu ne peuvent pas passionner grand monde. Et faire dans l'écriture alimentaire n'est pas dans mes cordes...
[Beaucoup de femmes te laissent-elles l’impression d’un rêve perdu ?]
Vrai que certaines jeunes filles, que je n'ai pu courtiser, ont rejoint ce que j'appelais « les fosses insondables de l’irréalisé ». Le lot de toute existence en fait.
[Qu’est-ce qu’un comportement féminin ?]
Le comportement et la psychologie d'une femme telle que je l'espère se caractérisent par la combinaison harmonieuse de toutes les qualités citées précédemment...
[Qui est Monique ?]
Une collaboratrice affective de Heïm depuis 35 ans.
[Tu écris ta bio. dans ton journal ou aussi tes impressions au jour le jour ?]
Mon Journal (que je ne tiens pas au jour le jour) a trois directions essentielles : ma vie personnelle, mes activités professionnelles et mon humeur sur le monde.
[Etre mon galant, c’est une bonne blague du cru de crauzien, c’est ça ? Et si je finissais par être moi aussi maudite ?]
Bon, alors je boude et remballe mon matos. Maudite, oui, peut-être ce sentiment germe-t-il en moi à ton égard... Laissons mûrir, hé hé !
Ceci dit, notre conversation a été pour le moins intense en émotions. Je reste totalement disponible et ton attentif complice. Bisous chauds.
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Entre Paris et Au, le 27 mars 1996
Très chère Sandre,
Illuminante révélation et touchante sensibilité que la tienne. Le style et le fond enfin en symbiose, et moi lecteur comblé par ce débordement affectif. Mais garde ! Reste à l’affût de mes propres défauts, car je suis loin du modèle parfait ! Tu as droit à une limpidité dans ma présentation. Je tends vers le meilleur certes, mon rapport à l'être s'est considérablement amélioré, mais ma misanthropie reste nichée dans quelque arcane insoupçonnée.
Pour commencer, l'inaccomplissement de mon objectif sentimental (une seule jeune fille pour l'existence) m'a rendu très méfiant, et ce n'est que récemment que je suis à nouveau sensibilisé pour l'aventure duale.
Notre complicité écrite est bien plus conséquente que nos affinités orales. La confiance est en cours d'épanouissement, mais pas de brusquerie. L'élan passionné ne m'a pas toujours réussi.
Tes qualités, ta richesse d'être sont évidentes, et il ne faudrait pas grand chose pour que je succombe, mais attendons la rencontre et ses imprévisibles influences.
L'équilibre, jusque là, est difficile à s'imposer entre l'obsession délirante et le détachement timoré.
Ton courrier est, en tout cas, une belle preuve de générosité humaine et de ta valeur féminine fondamentale.
J'attends avec délice ta petite musique épistolaire.
Joyeusement, ton ami.

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Du fond du plumard, le 29.03.96, 0h15.
Sandre sans bâillon,
Réconforté par notre conversation de ce soir. Les émotions se succèdent à toute allure. Une pause dans la complicité renouvelée. Tendrement et sans cynisme, sans provoc., sans parano, sans entreprise de démolitions, je te susurre la plus inénarrable des pensées.
[Je suis une « maudite » potentielle et une « perle perdue » à la fois, les deux extrêmes.]
Maudite, toi ? Hormis une mauvaise blague, je ne serai pas l'auteur de la damnation. Le style fait faire les pires folies.
[Tu m’as fait une déclaration, toi ? C’était pas le truc du clip-clap, rassure-moi ?]
Ma déclaration est une constante sous-jacente dans mes courriers. Tu ne me crois pas aussi piètre nature pour me limiter à une séance de « ça va - ça vient » (référence à Orange mécanique ma douce Sandre, même dans l'obscénité je reste culturel, hé !).
Je poursuivrai mes réponses à l'interrogatoire dans une prochaine missive.
Très gros bisous, charnellement.
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Château d'Au., le 30 mars 96.
Alerte Sandre, celle qui questionne plus vite...
Ravi d'être à mon bureau pour répondre, avec naturel et efficacité, à l'ensemble de tes interrogations.
[On peut avoir des amis dans des domaines professionnels différents du sien, non ?]
Je conçois bien évidemment l'amitié avec des gens d'univers divers. Ma curiosité est trop exacerbée pour que je me prive du plaisir d'entrer dans leur domaine. Humour dérisoire, peut-être, ma descente en flamme du milieu médical.
[Je suis très étonnée, mais non point déçue, de savoir que tu ne possèdes pas ton permis de conduire. Tu vas bien te résoudre à le passer, non ?]
J'entrevois la nécessité de passer ce p... de permis. Mon code, réussi du premier coup, est aujourd'hui périmé. Je m'y remettrai bientôt, par nécessité et non attrait pour les tacots.
[Confidents, nous le sommes, même si je le suis plus que toi : au risque de me faire taxer de désaxée obsédée ? Mais des « chuchotements » : on a fait ça ? Pur fantasme de ta part ou amnésie de ma part ?]
Je crois volontiers à ton oubli de nos chuchotements lors d'une conversation tardive. Mais si, mais si ! tu peux être douce et calme parfois ! (hé !).
[Si le meilleur de chacun est à durée limitée, je suis programmée jusqu'à quand ?]
Ta programmation sera, je l'espère, ad vitam aeternam, mais quelle pythonisse (allez, au dico !) peut nous indiquer les impondérables de la vie ?
[Que sous-entends-tu par féminité, c’est vague et flou ?]
La féminité est aussi difficile à définir intellectuellement qu'elle est facile, pour moi, à ressentir dans les premières secondes de la rencontre d'une jeune fille, jeune femme, etc. C'est la combinaison de nombreux critères (le comportement, l'intelligence, la sensibilité, la gestuelle, la parole, le corps, etc.) qui tendent vers une harmonie, une beauté d'être propre au féminin.
[Ne fait-il pas froid dans ta région ?]
On s’y caille plus facilement miches et gonades, j'en conviens. Mais le froid ne m'a jamais vraiment gêné quand un bon feu crépite.
[Que mets-tu comme parfum ?]
J'ai eu deux parfums importants : anciennement Eau sauvage de Ch. Dior, actuellement Eau de Rochas pour homme (un temps aussi M. de Givenchy, je crois...).
[Ne trouves-tu pas que mon écriture s’améliore ?]
Ton écriture varie selon les supports dont tu disposes, mais dans l'ensemble tu as droit à un bon point... A moins que je ne sois en cours de familiarisation.
[As-tu des ribaudes dans ton château ?]
Parmi ma famille affinitaire, aucune ribaude tu l'imagines. Parmi les employés, je ne suis pas niché dans leurs antres pour le savoir.
[A quoi ressemblent tes appartements ?]
Pour l'instant, pas de lieu définitif dans le château en cours de travaux.
[Que penses-tu de l’association travail-famille pour une femme ?]
Difficile de répondre par une généralité. Avant tout, au cas par cas, voir son bonheur. Combien de femmes prétendument « libres et indépendantes » ne ressemblent qu'à de vieilles guenons éperdues. Du cas par cas dis-je.
[As-tu déjà eu le désir d’avoir des enfants ?]
Dans l'absolu, nimbe facile pour philosopher, oui bien sûr pour les enfants. En réalité, je ne me sens pas du tout prêt, et je n'ai pas trouvé la mère de ces futurs bambins.
[Que penses-tu de l’infidélité dans un couple ?]
Cette question se traite à deux niveaux (pour un homme) : moral et physique. Le premier est une intolérable trahison, le second ne peut s'envisager que par accord fondamental et initial de sa femme. Sinon, cela relève du même verdict. A titre personnel, si mon épouse me comble tous azimuts, je préfère la fidélité réciproque sur tous les plans.
[Pourquoi trouves-tu que tous les hommes ont des aspects vils ?]
Point de misanthropie particulière pour la gent masculine, mais il est vrai que les gars, dès qu'ils sont plus de deux, deviennent souvent sans intérêt, cons de fond... Mais, là encore, pas trop de généralités. Par goût je préfère la compagnie féminine.
[As-tu des fantasmes pervers ?]
A priori, pour l'instant, je n'ai point de dérives sexuelles qui pourraient consister, par exemple, à te faire mettre nue sous ta blouse et à te faire violer par les plus repoussants de tes malades, ou à te déféquer dessus... Non, point pour moi ma délicate Sandre...
[Y a-t-il des actrices qui te fassent rêver ?]
Quelques actrices m'ont particulièrement galvanisé. Liste non exhaustive : Ornella Muti avant tout, puis dans le désordre Béatrice Dalle, Mathilda May, Bo Dérek, Faye Dunaway, etc., Carla Bruni chez les mannequins, Sandre R. chez mes correspondantes...
[As-tu déjà rêvé de moi ?]
Je ne m'en souviens pas. Il devait être trop brûlant pour que la décence de mon inconscient le laisse surgir au petit matin.
Bien saisi ton analyse sur notre petit différend téléphonique. Mûrir, toujours mûrir... hé hé !
Merci de ce que tu es, tendrement.
Merci aussi pour la poésie de cette fille d'un riche cordier lyonnais [Louise Labé] (voilà pourquoi tu l'as connais mieux que moi, hé hé !). Impressions dans un prochain courrier... bisous doux.
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Dimanche 31 mars
3h10. Avancement d’une heure pour se rapprocher de l’été.
Point d’entrain pour remplir ces pages.
Synthèse du moment.

Côté cœur : poursuite de mes correspondances avec Sandre R. et Rachelle M. Petit différend avec Sandre, vite dissipé. L’une près de Lyon, l’autre à Nice, elles sont toutes les deux des amies, complices adorables... Et si l’une devenait un peu plus que cela. Je n’ai rien vécu de sentimentalement important depuis la fin de mon histoire avec Kate (octobre 1993).
Passage au Salon du livre de Paris mardi dernier (seconde visite) avec la très séduisante Karine, copine de séminaire de lettres.
Côté pro. : stagnation des dossiers littéraires. Difficulté pour trouver des subventions afin de les financer. La faute aux magistrats casseurs de politiques. Chaque élu tremble maintenant de débourser pour des projets culturels. Dernier homme politique à avoir fait voter un petit achat d’ouvrages, c’est Alain Carignon lui-même ! Et des maniaques en toge l’ont fait moisir en prison.
J’envoie des courriers aux revues d’histoire pour décrocher quelques collaborations. Advienne que pourra.
Poursuite de la mise en forme de mon mémoire. A-y-est, fini !!!
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